Comment les plantes surmontent le décalage horaire Understand article

De nouveaux travaux de recherche révèlent « l’horloge » interne qui aide les plantes à s’adapter aux changements de cycles journaliers.

Illustrations of ‘sleep movements’ of Medicago leaves
Illustrations de
« mouvements du sommeil »
des feuilles de luzerne du
livre de Charles Darwin The
Power of Movement in Plants

Charles Darwin
(1898)/Wikimedia Commons,
domaine public
 

Avez-vous déjà eu la sensation déstabilisante du décalage horaire après un long vol ? La raison de ce sentiment désagréable résulte d’une discordance entre l’environnement et notre horloge interne : la lumière du soleil nous indique que l’après-midi bat son plein, mais notre horloge interne nous dit qu’il est temps de dormir. Cette horloge – aussi connue sous le nom d’horloge circadienne – contrôle le rythme biologique de notre corps. C’est une adaptation évolutive à la vie sur une planète en rotation où la lumière et les températures fluctuent au cours d’une période de 24 heures, et cela affecte notre cycle du sommeil, notre métabolisme et d’autres aspects de notre physiologie. Le mot « circadien » vient du latin circa qui signifie « autour » et de dies qui veut dire « jour ».

Les rythmes circadiens ont d’abord été observés chez les plantes au 4ème siècle avant J.-C., lorsqu’un amiral de la flotte d’Alexandre le Grand a décrit les rythmes quotidiens des feuilles des tamariniers. Charles Darwin a décrit les « mouvements de sommeil » des feuilles dans son livre The Power of Movement in Plants en 1880, après avoir observé que les feuilles de luzerne se replient la nuit venue. Si les plantes ont une horloge interne, peuvent-elles donc souffrir d’un décalage horaire ?

 

Tester les rythmes circadiens

Puisque nos rythmes circadiens sont contrôlés par une horloge interne, ils persistent même lorsque les conditions externes (telles que la luminosité) sont constantes. Ils sont donc plus complexes que les rythmes diurnes, qui sont des réactions directes à des changements  des conditions externes. La plupart des rythmes biologiques quotidiens sont en fait des rythmes circadiens. Le test suivant est un moyen simple de savoir si un processus biologique est un rythme circadien ou non. On expose d’abord l’organisme (soit une plante ou un animal) à des cycles de stimuli de 24 heures (par exemple 12 heures de lumière, suivies par 12 heures d’obscurité). Ensuite, l’organisme est gardé en conditions constantes (par exemple luminosité constante) et le processus est mesuré pendant plusieurs jours. Si le rythme (tel que le cycle du sommeil-éveil ou le cycle de la température corporelle) persiste malgré les conditions constantes, il est contrôlé par une horloge interne et n’est pas une simple réaction à des fluctuations des conditions environnementales (figure 1). Ce test a été réalisé sur de nombreux organismes, de telle sorte que l’on sait maintenant que les mammifères, les insectes, les plantes et même certaines bactéries ont de vraies horloges circadiennes.

Figure 1: Experimental test to identify a diurnal or circadian rhythm
Figure 1: Test expérimental pour distinguer un rythme diurne d’un rythme circadien
Katharine Hubbard
Diurnal rhythm: Rythme diurne;
24-hour rhythm ends in constant conditions, indicating a direct response to light/dark: Un rythme de 24 heures s’arrête en conditions constantes, indiquant une réponse direct à la lumière/l’obscurité;
Circadian rhythm: Rythme circadien;
24-hour rhythm persists in constant conditions, indicating that it is controlled by an internal clock: Un rythme de 24 heures persiste en conditions constantes, indiquant qu’il est contrôlé par une horloge interne;
Biological marker: Marqueur biologique;
light: lumineux;
dark; sombre;
Constant light: Luminosité constante;
Time (hours): Temps (heures)

Les plantes ne perdent pas la notion du temps

Il est maintenant établi que l’horloge circadienne contrôle presque tous les aspects de la biologie des plantes, y-compris la croissance, la floraison, la photosynthèse, et l’ouverture et fermeture des stomates des feuilles. Chez la plupart des plantes, les stomates s’ouvrent juste avant l’aube pour que la photosynthèse puisse commencer dès que la lumière est disponible. Les plantes utilisent également leur horloge interne pour mesurer la durée du jour, qui détermine le début de la floraison d’une plante. Certaines plantes « à jours courts » (riz, chrysanthèmes) ne fleurissent que lorsque la durée du jour est inférieure à un seuil critique. Par exemple, les chrysanthèmes ne commencent leur floraison que si les jours sont plus courts que 15 heures, soit au printemps ou en automne. Les plantes « à jours longs » (laitue, épinard) présentent la tendance inverse et ne fleurissent que si les jours sont plus longs qu’une durée critique, en été. Par contraste, les plantes « à jours neutres » ne sont pas sensibles à la durée du jour. Les plantes à jours courts et longs qui ont une horloge circadienne défaillante fleurissent plus tôt ou plus tard qu’elles ne le feraient normalement, puisqu’elles sont incapables de déterminer la durée du jour. Des horloges non fonctionnelles peuvent affecter les mécanismes de défense des plantes, les empêchant de synthétiser des composés chimiques de défense au bon moment de la journée et les rendant plus vulnérables aux attaques d’insectes.

Les horloges circadiennes ont donc d’importantes implications pour la productivité agricole. Des expériences utilisant la plante modèle Arabidopsis démontrent que, dans des conditions de laboratoire contrôlées, les plantes avec une horloge circadienne défaillante poussent moins bien que les plantes avec une horloge normale. La raison en est que les plantes affectées produisent moins de chlorophylle et ont un taux de photosynthèse inférieur (Dodd et al., 2005).

Puisque l’horloge contrôle le temps de floraison, elle dicte également le temps des récoltes pour les plantes cultivées. Par exemple, l’orge qui est cultivé dans le sud de l’Europe est sensible à la durée du jour et fleurit donc au début du printemps, puis est récolté au début de l’été avant qu’il ne fasse trop chaud. Au nord de l’Europe, cependant, le climat est bien plus frais ; l’orge qui y est cultivé a une mutation naturelle qui affecte la façon dont l’horloge interne régule les gènes liés au temps de floraison, rendant la plante moins sensible à la durée du jour. Cette mutation permet à la plante de bénéficier des longues journées d’été pour ensuite être récoltée en automne. En conséquence, les entreprises de biotechnologie s’intéressent de plus en plus à la manipulation de l’horloge circadienne des plantes, dans l’espoir d’augmenter le rendement agricole.

Research into plant circadian clocks has important implications for agricultural productivity.
La recherche sur les horloges circadiennes des plantes a d’importantes implications pour la productivité agricole.
stanvpetersen/pixabay.com

La génétique des rythmes circadiens

Comment fonctionne donc la régulation circadienne ? La réponse se trouve dans la génétique des plantes. L’horloge consiste en de nombreux gènes qui se régulent les uns les autres en un système autorégulateur connu sous le nom de boucle de rétroaction négative. La figure 2 explique comment cette régulation génétique fonctionne en utilisant une horloge circadienne de deux gènes. Le gène A est activé (par un processus dépendant de la lumière) et produit la protéine A. La protéine A active ensuite le gène B, qui produit la protéine B. La protéine B réprime l’expression du gène A, indirectement affectant sa propre production, permettant plus tard au gène A d’être exprimé à nouveau. Il s’agit donc d’un cycle où les protéines A et B sont produites alternativement. Si chacune de ces étapes régulatrices prend 12 heures, le résultat est un rythme de 24 heures qui peut se maintenir sous des conditions constantes (par exemple 24 heures de lumière en continu).

En réalité, le mécanisme qui se cache derrière les rythmes circadiens est bien plus complexe : l’horloge circadienne des plantes comprend un réseau de plus de 20 gènes et leurs protéines (McClung, 2019). L’horloge est tellement complexe que les biologistes peinent à comprendre toutes ses connexions et à prédire ce qui arriverait si le réseau était perturbé. Pour s’attaquer à ce problème, des biologistes se sont associés avec des mathématiciens pour créer des modèles informatiques de l’horloge circadienne, qui sont maintenant utilisés pour élaborer des expériences scientifiques. Par exemple, certains modèles intègrent des informations sur la luminosité, la disponibilité en CO2, la température et l’expression des gènes circadiens. Ils sont ensuite utilisés pour prédire le taux de croissance de la plante selon la durée du jour.

Figure 2: Negative feedback loop for a simple circadian clock
Figure 2: Boucle de rétroaction négative pour une horloge circadienne simple
Katharine Hubbard
Lights activates expression of gene A: La lumière active l’expression du gène A;
Protein B represses expression of gene A: La protéine B réprime l’expression du gène A;
Protein A activates expression of gene B: La protéine A active l’expression du gène B;
Gene: Gène;
Protein: Protéine;
Protein concertration: Concentration de la protéine;
Time (hours): Temps (heures)

Éviter le décalage horaire

L’une des principales différences entre les horloges circadiennes humaine et végétale est leur degré de contrôle central. Notre horloge circadienne est coordonnée par une zone du cerveau appelée noyau suprachiasmatique (NSC), qui est localisée dans l’hypothalamus. Le soir, le NSC pousse l’épiphyse, une autre glande du cerveau, à produire de la mélatonine, qui circule ensuite à travers le corps, préparant d’autres organes au sommeil, comme l’estomac et le foie. Puisque notre horloge circadienne est largement dépendante des hormones qui circulent dans le sang, toute réaction circadienne est relativement lente. Lorsque l’on est fatigué à cause d’un décalage horaire, différentes parties de notre corps sont réglées à différentes zones horaires. Il faut quelques jours après un vol pour que toutes les parties du corps se coordonnent à nouveau.

L’horloge circadienne des plantes est différente, puisqu’il semblerait qu’elle fonctionne au niveau de chaque cellule, individuellement. Chaque cellule de la plante a ses propres récepteurs à la lumière et sa propre horloge circadienne – les cellules d’une même plante peuvent donc réagir à la lumière individuellement, ce qui est impossible chez l’être humain. Si l’on couvre certaines parties d’une plante avec du papier d’aluminium, il est possible de faire « croire » à une partie de la feuille qu’il fait nuit. Cette différence dans l’architecture de l’horloge circadienne signifie que les plantes peuvent plus facilement ajuster leurs rythmes circadiens. Ainsi, si une plante était expédiée à l’autre bout du monde, elle s’adapterait bien plus facilement que nous, et ne souffrirait que légèrement du décalage horaire.  Les plantes peuvent surmonter le décalage horaire en quelques heures, contrairement aux êtres humains.

Savoir si les plantes peuvent s’ajuster à de nouvelles zones horaires est une curiosité biologique intéressante. Comprendre les mécanismes biologiques qui dictent les rythmes circadiens des plantes nous a permis de comprendre comment les réseaux génétiques sont régulés – cela pourrait aider à améliorer le rendement agricole à l’avenir.


References

Resources

  • Pour des vidéos en time-lapse montrant les rythmes circadiens de diverses espèces, visitez le site internet Plants in Motion.
  • Lisez un petit livre qui introduit les rythmes circadiens chez l’être humain et leurs impacts sur notre bien-être (en anglais). Voir :
    • Foster R, Kreitzman L (2017) Circadian Rhythms: A Very Short Introduction. Oxford, UK: Oxford University Press. ISBN: 9780198717683
  • L’American Society for Plant Biology a publié de la documentation d’enseignement sur les rythmes circadiens. Bien que destinées à des étudiants universitaires, ces ressources peuvent compléter des cours pour des écoliers ou inspirer des projets scolaires (en anglais). Voir :
  • Lisez un numéro spécial du journal Biology qui célèbre le Prix Nobel de Physiologie ou Médecine de 2017, qui a été attribué à trois biologistes pour leur découverte des mécanismes moléculaires qui contrôlent les rythmes circadiens (en anglais).

Author(s)

Katharine Hubbard est maître de conférence en biologie à l’Université de Hull, Royaume-Uni. Son domaine est la biologie végétale, plus particulièrement les rythmes circadiens des plantes, les cascades de signalisation et les réponses des plantes face à leur environnement. Actuellement, elle enseigne la biologie cellulaire et la biologie végétale à des étudiants en bachelor et souhaite intégrer les étudiants à la recherche en biologie végétale moderne.

Review

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certaines espèces de plantes fleurissent en hiver et d’autre en été ? Ou pourquoi nous dormons la nuit et restons éveillé la journée ? Les réponses à ces questions se trouvent dans le rythme circadien, un processus observable chez les animaux et chez les plantes, aussi responsable de la sensation du décalage horaire. Cet article explore la biologie du rythme circadien d’une façon claire et précise, et examine le rôle des gènes et des hormones dans la régulation de nos rythmes journaliers. En plus de répondre aux questions de compréhension ci-dessous, l’article pourra être utilisé pour discuter plus amplement des effets des conditions environnementales sur la productivité des plantes, et les impacts du changement climatique et des perturbations environnementales sur les rythmes circadiens.

De possibles questions de compréhension incluent :

  • Quelle est la différence entre rythme circadien et rythme diurne ?
  • Pourquoi différentes plantes fleurissent-elles à différentes saisons ?
  • Comment est-ce que des mutations génétiques peuvent-elles influencer la productivité agricole ?
  • Pourquoi les plantes peuvent-elles corriger leur rythme circadien plus facilement que les humains ?

Monica Menesini, enseignante en science, Italie

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