La vie en ligne de mire Understand article

Traduit par Aziliz Robino. Tous les grands équipements de neutrons et de rayons X emploient des chercheurs instrumentalistes qui sont à la fois des spécialistes en recherche expérimentale, des agents de liaison et des chercheurs. Andrew Wildes de l’Institut Laue-Langevin explique comment…

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l’aimable autorisation de ILL / P
Ginter

Je travaille en France en tant que chercheur instrumentaliste à l’Institut Laue-Langevin (ILL) à Grenoble depuis 14 ans. Ma vie dans les Alpes françaises est très différente de celle que je menais en Australie dans mes plaines natales de Victoria, bien que la qualité du vin soit comparable. Je suis venu en Europe après avoir terminé mes études à Victoria. J’ai obtenu une licence en physique à l’Université de Melbourne et un doctorat en physique de la matière condensée à l’Université Monash. Au départ, j’ai travaillé au Royaume-Uni, à l’Université d’Oxford où je faisais des expériences sur la diffusion des neutrons et des rayons X. Ensuite, juste avant la fin de mon contrat, l’ILL m’a proposé un poste. Bien que maintenant j’aie passé plus de temps à travailler ici que pour mes deux diplômes et mon premier emploi réunis, j’ai l’impression que je viens juste d’arriver !

L’ILL est un centre de recherche à haut flux neutronique et sans doute la source de neutrons la plus puissante au monde. Plus de 40 instruments de science expérimentale sont rattachés au réacteur nucléaire qui produit les neutrons. La plupart des instruments sont utilisés pour la diffusion des neutrons. Quatre autres servent à la physique nucléaire, un à la radiographie et un à l’interférométrie. Tous ces instruments sont différents. Cependant ils ne sont pas cantonné au domaine scientifique pour lequel ils on été créés car ces disciplines se recoupent souvent. J’aime voir l’institut comme une caisse à outils géante dans laquelle les scientifiques peuvent choisir le bon instrument pour résoudre le problème qui se présente.

Trois métiers en un

L’ILL emploie environ 70 scientifiques à temps plein dont le travail est divisé en trois parties plus ou moins égales. La responsabilité de l’entretien et du développement de l’un des instruments constitue la première partie du métier. Je travaille sur le D17. Il s’agit d’un réflectomètre à neutrons conçu pour mesurer les propriétés des interfaces en surface et sous celle-ci à l’intérieur de l’échantillon. L’instrument change tout le temps en fonction des idées que l’on a pour l’améliorer : cela va de l’augmentation de l’intensité du neutron au développement du logiciel utilisé pour le faire fonctionner. Les expériences scientifiques menées avec le D17 sont très diverses : cela va des études de membranes biologiques à la catalyse chimique en passant par le magnétisme. Il faut penser à tout pour optimiser chaque expérience.

VIVALDI, un diffractomètre à
neutrons caractéristique de
Laue

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La deuxième partie du métier de chercheur instrumentaliste consiste à exercer des fonctions de contact local, c’est-à-dire que nous aidons des universitaires de passages dans nos locaux à mener et à interpréter leurs expériences. L’ILL accueille chaque année environ 2 000 scientifiques qui ne réalisent pas moins de 750 expériences. N’importe qui peut proposer une expérience à l’ILL, à condition d’être retenu à la suite d’une évaluation scientifique. Une fois la proposition acceptée, les chercheurs se voient assignés une période de temps pour mener à bien cette expérience. Les expériences sur la diffusion des neutrons prennent en général entre deux jours et deux semaines, cela dépend de l’instrument et du type d’expérience. Ainsi, les visiteurs souhaitent mettre à profit chaque neutron disponible.

D17, un réflectomètre à
neutrons conçu pour mesurer
les propriétés des interfaces
en surface et sous celle-ci à
l’intérieur de l’échantillon

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Cet aspect de notre travail peut être très enrichissant car nous sommes face à des idées nouvelles et passionnantes. Cela nous permet aussi de rencontrer beaucoup de monde. Nous pouvons servir de contact local sur tous les instruments de l’ILL. J’interviens souvent en tant que contact sur le D17 mais aussi sur les spectromètres à trois axes. Ce sont des instruments qui conviennent particulièrement à la mesure des vibrations magnétiques et structurales des cristaux. Pouvoir travailler sur d’autres instruments me permet de collaborer étroitement avec les visiteurs lorsqu’ils sont dans les installations de l’ILL. C’est beaucoup plus enrichissant que d’être restreint à réaliser des expériences sur un seul et unique instrument.

Tous les chercheurs instrumentalistes ont leurs propres programmes de recherche, c’est la troisième partie du métier. Au final l’ILL est jugée sur sa contribution au développement de la science. Ainsi, nous sommes encouragés à publier régulièrement nos travaux. Mes recherches portent sur la mesure des dynamiques et des structures magnétiques. Un neutron n’est pas chargé électriquement, mais il y a un moment où il devient magnétique et interagit avec, s’il y en a dans l’échantillon, l’induction magnétique.

Division du travail : en tant
que chercheur
instrumentaliste, Andrew
Wildes a plusieurs
responsabilités diverses et
variées

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Andrew Wildes

Ainsi, la diffusion de neutrons peut servir de sonde pour les expériences sur le magnétisme. L’un de mes programmes de recherche s’intéresse aux lunettes en métal à base de fer, largement utilisées dans l’industrie, dont les structures magnétiques sont pourtant mal connues. Un autre programme concerne les vibrations et les structures magnétiques dans des matériaux tels que les films magnétiques minces. La recherche est probablement la partie la plus stimulante et la plus plaisante de mon travail étant donné que je suis libre d’utiliser mon imagination et de travailler sur le domaine scientifique qui m’intéresse.

Une carrière dans le neutron

La division du temps entre les trois parties du métier de chercheur instrumentaliste peut énormément fluctuer. Vous devez vous démener pour avoir du temps à accorder à vos trois fonctions. Parfois cela vous donne l’impression d’avoir trois boulots ! En particulier lorsqu’il y a des problèmes sur les instruments ou que les visiteurs ont besoin d’aide, il peut être très difficile de trouver du temps pour vos propres recherches. Le réacteur fonctionne pendant quatre cycles de 50 jours chaque année, ces périodes peuvent être vraiment chargées. Entre les cycles, bien que toute modification importante de l’instrument doive être réalisée lorsque le réacteur est à l’arrêt, on a tout de même plus de temps à consacrer à l’analyse des données, à l’écriture d’articles de journaux et à assister aux conférences. Trouver du temps pour les vacances dans tout cela peut mener à des frictions, particulièrement quand il faut négocier avec sa famille.

Néanmoins, être un chercheur instrumentaliste signifie avoir un super boulot, y prendre du plaisir et avoir beaucoup d’opportunités de carrière. Il y a quelques années, la diffusion de neutrons était considérée comme étant en déclin, beaucoup des sources de neutrons les plus anciennes fermaient. Cependant, on assiste à une nouvelle vague d’investissement avec la construction de plusieurs nouvelles sources de neutrons puissantes dans le monde entier, et aussi avec l’arrivée de nouveaux instruments aux sources déjà existantes comme l’ILL. Les chercheurs instrumentalistes sont très demandés, c’est donc un excellent moment pour commencer une carrière en rapport avec les neutrons.

Le réacteur de l’ILL
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Une bonne manière de commencer est d’essayer des expériences sur les neutrons pendant le doctorat. J’ai utilisé la diffusion de neutron pendant mon doctorat pour la détermination de la structure magnétique, ce qui m’a appris les bases et m’a fait connaître auprès de beaucoup d’autres personnes qui utilisent les neutrons, dont certaines avec qui je travaille maintenant de façon régulière. Etant donné que toutes les techniques sont basées sur la physique, une formation dans ce domaine est utile pour un chercheur instrumentaliste, mais les centres comme l’ILL ont d’excellentes opportunités pour la science multidisciplinaire et emploient aussi des chercheurs instrumentalistes formés en chimie ou en biologie.

Est-ce que j’aime toujours travailler à l’ILL après 14 ans ? Dans le roman de Nick Hornby La Bonté, Mode d’Emploi, le personnage principal compare la science et les arts, disant que l’un n’est « qu’empathie, imagination, exploration, choc de la nouveauté avec un résultat incertain ». C’est ce que je pense de mon travail. En fait, le personnage d’Hornby parle à ce moment-là de l’art et dit ensuite que la science « appuie sur un bouton, puis sur un autre et bingo ! Des choses se produisent. C’est comme faire marcher un ascenseur. » Croyez-moi, ça n’a rien à voir avec ce que l’on fait. Tout cela pour dire que Hornby devrait passer plus de temps dans un labo de physique.

Remerciements

Ceci est une version mise à jour d’un article publié dans Physics World (voir Wildes, 2007) reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur


References

  • Wildes A (2007) Life in the line of fire. Physics World Sept 2007: 52-5

Resources

Institutions

Review

Andrew Wildes parle de sa vie en tant que chercheur instrumentaliste à l’Institut Laue-Langevin et donne un aperçu du mécanisme d’un grand centre scientifique international. L’article pourrait être un bon point de départ pour lancer un débat sur les carrières qui s’offrent aux scientifiques, en particulier aux physiciens. Il apporte également des informations sur le fonctionnement des centres de recherches internationaux à grande échelle.

Alby Reid, Royaume-Uni

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